Nettoyage matinal...

Myrna s’était réveillée tôt ce jour là. Le bruissement du feuillage sur sa fenêtre sans doute. Caresse matinale, joyeux bienvenu du jour, la jeune fille n’aurait opté pour aucun de ces choix. La vie en Ecosse lui semblait si différente que celle qu’elle avait mené jusqu’alors en Irlande. Il fallait pourtant ajouter que Myrna avait toujours habité la ville. Dublin. Une merveille à ses yeux, un centre culturel magnifique, des rencontres, des échanges, mais aussi du bruit.

Le bruit, ici, à Carnoch, n’était pas le même. Le vent semblait venir s’y réfugier pour vous murmurer à l’oreille, tandis qu’on ne percevait seulement son souffle sur le visage à Dublin.

Myrna avait clairement entendu, et peut-être pour la première fois, le chant des oiseaux et les secrètes paroles du voyageur soufflant sur la vallée. Pas de voitures, ou presque pas. Ici, le temps semblait s’être arrêté, et il semblait quelques fois à la jeune fille, que le sablier du temps avait été retourné. A tout instant, elle s’attendait à voir surgir, au détour d’un chemin, un paysan des siècles passés. Le paysage en lui seul créait cette illusion, ce rêve sans sommeil.

L’Irlande était loin maintenant, à des années lumières de l’instant présent.

Le temps était passé si vite ! Cela faisait bien un mois au moins que la jeune irlandaise se trouvait au service des Mcdonald. Un mois, certes, mais Myrna ne s’y retrouvait toujours pas dans ce pays, pourtant si proche du sien. Elle n’avait rien visité, rien découvert, rien exploré. Rien, rien, rien…

Et le temps passait à une vitesse folle.

Arrivée au Manoir Mcdonald, la Myrna était entrée par une porte de service, en quelque sorte, et, discrète, s’était dirigée au salon. Elle comptait, ou plutôt devait, y faire le nettoyage. Après tout, n’était-ce donc point cela sa fonction ?

Plumeau, éponges et autres, sous le bras, la jeune irlandaise s’était tout d’abord mise à nettoyer les vitres, sur lesquelles la pluie de la veille avait laissé ses traces, des gouttes disgracieuses.
Myrna respira profondément et se mit à l’ouvrage. Elle était en avance. Trop en avance. Son service ne débutait pas avant… longtemps. Mais le bruissement de la branche d’arbre sur sa fenêtre l’avait tirée du sommeil sans ménagement ! Et puis, si elle finissait ses corvées plus tôt, aurait-elle le droit de… s’en aller, plus tôt ?

Elle espérait que cela soit possible…

A cette pensée, une certaine dose de bonne humeur l’a surprit, ce qui était étonnant étant donné l’heure matinale de son réveil, mais la jeune fille n’y prêta guère attention. Doucement, elle s’était mise à fredonner une chanson. Et petit à petit, son travail avançait, les carreaux redevenaient présentables.

Mais une ombre était apparue. Silencieuse, mystérieuse… et matinale, elle aussi.

Cette ombre c'était Gillian. Elle s'était installée la nuit dernière dans la chambre d'ami, elle en avait eu assez des faux semblants. Après tout, tout le manoir était au courant de ses déboires conjugaux et puisque son cher et tendre époux refusait toujours de lui adresser la parole mais également de quitter leur chambre c'est elle qui avait pris les choses en main.

Mais après plus de vingt ans de mariage, elle n'avait plus l'habitude de dormir dans un autre lit que le sien, qui plus est seule... Elle avait passé une très mauvaise nuit, à tourner et se retourner entre les draps. Elle s'était même levée plusieurs fois, pour boire quelque chose, chercher un livre dans la bibliothèque, aller aux toilettes... bref, elle n'avait pas beaucoup dormis et c'est passablement énervée qu'elle s'était levée à l'aube.

Après un petit déjeuner frugal, elle s'était douchée et préparée. Elle était la seule debout mais pourtant en passant devant le salon, elle avait pourtant entendu quelqu’un pousser la chansonnette. Curieuse, elle avait doucement poussé la lourde porte en bois pour voir qui cela pouvait bien être. Quelle ne fut pas sa surprise en reconnaissant Myrna, la bonne que le vieux Colin avait engagé quelques mois plus tôt. La même Myrna qui était un point clé de ses déboires conjugaux…

Gilly n’était pas d’un naturel agressif, mais elle n’arrivait pas à supporter la petite irlandaise, bien que cette dernière n’ait jamais rien fait à proprement parler pour la contrarier. Elle poussa plus largement la porte et entra en faisant claquer ses talons sur le sol pour se faire remarquer.

-Déjà là Miss Darcy ? Votre service ne commence pourtant pas encore…

Sa voix était froide, comme à chaque fois qu’elle s’adressait à la jeune femme… Pourtant elles auraient bien put s’entendre toutes les deux, elles avaient toutes deux des origines irlando écossaises – Colin le lui avait précisé lorsqu’il l’avait engagé - , et avaient des caractères relativement semblables. Mais le destin en avait voulu autrement…

A présent Gillian se tenait dans l’encadrement de la porte, son regard fixé sur la jeune femme, attendant la réponse de cette dernière.

Absorbée par le nettoyage et sa mélodie, Myrna n’avait rien perçu de l’arrivée de Gillian. Aussi, lorsque celle-ci s’adressa à elle, la jeune fille ne put réprimer un sursaut. Lâchant le chiffon qu’elle tenait dans sa main droite, elle se retint de porter sa main gauche à son cœur, synonyme de frayeur mais aussi de surprise. Elle se contenta juste de se retourner le plus calmement possible et de faire face à Gillian.

Accrochant un sourire timide à son visage, la jeune irlandaise s’efforçait de faire bonne figure devant sa patronne. Après tout, il lui fallait garder à tout prix son emploi et, même si elle sentait de l’aversion de la part de Gillian, Myrna se sentait déterminée. Droiture, calme et surtout, politesse. Ces enseignements, elle les avait appris à l’école et les connaissaient parfaitement. La discipline ne lui posait pas de problèmes, elle y avait été habituée dès son plus âge par sa mère lorsqu’elle lui enseignait la danse. Ici, pourtant, ce n’était pas une chorégraphie qu’il lui fallait exécuter, non, c’était beaucoup plus difficile…

Gillian semblait attendre une réponse. Tout de suite. Et Myrna comprenait son étonnement et son trouble. S’était-elle imaginé que la jeune irlandaise était arrivée plus tôt pour voir Hugh ?
Tout le monde semblait être au courant des disputes du couple Mcdonald, et Myrna ne faisait pas exception. Très vite, elle avait compris ce que vivait Gillian et aurait volontiers compati à son sort si ce charmeur de Hugh n’avait pas jeté son dévolu sur elle ! Les regards qu’il lui lançait, sa façon de la fixer… Tout concordait parfaitement pour mettre Gillian au courant… et terroriser la jeune irlandaise.
Et maintenant, le couple en pleine crise, Myrna se retrouvait source d’ennuis et de conflits, une situation guère enviable !

Une réponse. Que dire ? Que le vent l’avait tiré du sommeil en envoyant une branche d’arbre racler son carreau ? Une insomnie ? Un besoin de travail ? Myrna était à court d’idées. Elle saisit la première qui lui vint à l’esprit :

Bonjour madame ! Et oui, je suis déjà ici, je me suis dit que la ponctualité ne me ferait pas de mal…

Elle se tut. Gillian allait-elle croire ce mensonge ? Jouant la carte de l’amabilité, ce qui n’était guère facile avec son interlocutrice, elle ajouta, se voulant polie :

J’espère ne point vous avoir réveillée, auquel cas, veuillez bien m’excuser…

Myrna fixa ses yeux sur Gillian. Ni un regard trop soutenu, ni trop docile ou effacé. Elle n’affectait pas la soumission, simplement le respect…

[Désolée de la réponse très tardive... Embarassed

]

Gillian remarqua le sursaut de la jeune femme et le chiffon qu'elle avait lâché dans sa surprise, même si Myrna semblait vouloir le cacher. Visiblement cette dernière ne s'attendait pas à trouver quelqu'un debout si tôt le matin, et Gilly eut un sourire en coin, non pas qu'elle était heureuse de l'avoir effrayé, mais quand même...

La bonne se retourna et la rousse put observer à loisir son calme et son maintient. Décidément, la petite ne se laissait pas démonter. En général, Gilly appréciait les gens qui ne se laissaient pas marcher sur les pieds mais cette attitude, tout ce qu'il y a de plus droite et respectueuse, l'horripilait au plus haut point de la part de Myrna.
Peut-être simplement parce qu'elle n'arrivait pas à lui trouver le moindre défaut... Elle avait beau cherché la faute, elle ne la trouvait pas, et tant que ce serait comme cela, l'irlandaise resterai travailler ici, pour le plus grand malheur de Gillian.

Mais la Macdonald se retint de sourire en remarquant qu'elle l'avait prise de court. Elle ne répondit pas immédiatement à sa question et Gillian attendit, presque impatiemment, qu'elle fasse une erreur. Ce ne fut pas le cas, encore une fois, mais elle ne pu s'empècher de lui lancer tout de même une petite pique.

-Je vois... Ne faites pas trop de zèle non plus...

Myrna s'empressa également de s'excuser pour le cas où elle l'aurait réveillée. Gilly eut soudain l'envie de lui rétorquer que ses excuses n'allaient pas l'aider à ratraper son sommeil perdu, mais vu qu'elle détestait le mensonge, elle n'allait certainement pas se rabaisser à mentir pour si peu...

-Ne vous inquiétez pas, vous ne m'avez pas réveillé. Mais faites tout de même attention, les autres dorment encore.

L'aînée avança et se dirigea vers l'une des bibliothèque. Rester ici en feignant de lire lui permettrait de garder un oeil sur la jeune femme...

[Je ne peux pas te le reprocher car moi aussi je mets parfois du temps à répondre Wink

]

Il semblait finalement que Myrna s’en sortait bien face à Gillian. Pour le moment en tout cas. Polie, respectueuse, la jeune fille s’efforçait de l’être, même si parfois, elle mourrait d’envie de répondre quelque chose de cinglant à sa patronne. Mais, non, il ne fallait pas qu’elle craque, pas maintenant. Sinon, comment ferait-elle pour payer ses études ?

La réponse de son interlocutrice ne se fit pas attendre. Pas trop de zèle. Cela rassura la jeune fille : Gillian avait gobé son mensonge. Mais était-ce bien un mensonge ? Ne raconter qu’une partie de l’histoire et non la totalité… Une question que la jeune irlandaise se serait sans doute plu à retourner dans tous les sens, histoire de passer le temps, si elle avait été seule.

Seule ?! Malheureusement non ! Gillian semblait bel et bien décidée à rester au salon, en sa compagnie. Myrna aurait volontiers soupiré d’agacement à cette nouvelle mais elle se retint.
Finie la détente de la solitude, elle qui espérait un peu de paix à cette heure si matinale.

Oui, je me ferai silencieuse, aussi discrète qu’une souris…

Et pourquoi Gillian n’allait-elle pas se recoucher ? A ce moment de la journée, tout MacDonald normalement constitué devrait dormir, non ?

Sortant brusquement de ses pensées tumultueuses, les yeux de Myrna se posèrent sur le chiffon tombé à terre et le seau d’eau à ses pieds. Elle se rappela alors les vitres qu’elle avait à nettoyer.

Priant intérieurement pour qu’il ne pleuve pas dans l’après-midi, un petit rituel qui lui été devenu familier, elle se remit à l’œuvre, ou plutôt, à l’ouvrage. Dans son dos, elle sentait le regard de Gillian. Elle devait probablement s’être installée dans un fauteuil pour y lire quelque livre.

Allait-elle s’endormir ou pas ? C’était la nouveau petit « amusement » de la jeune fille, car c’était ainsi qu’elle passait le temps en travaillant, ses corvées ne nécessitant pas une trop grande concentration de l’esprit. En cet instant, sa pensée était occupée à calculer les probabilités pour que Gillian s’endorme. Bien sûr, cela dépendait aussi du livre. Un bon roman la tiendrait sans doute éveillée, un mauvais l’entraînerait tout droit dans les bras de Morphée.

Allait-elle se mettre à ronfler ? Quelle idée !

Un sourire apparut sur le visage malicieux de la jeune irlandaise, un sourire que lui renvoya aussi son reflet dans la vitre qu’elle venait de terminer. Des boucles brunes qui encadraient un visage radieux. Décidément, cette journée s’annonçait… amusante !

Gillian s’était donc avancé vers la bibliothèque tandis que Myrna lui répondait qu’elle saurait se faire discrète. Passant doucement le doigt sur la tranche des livres rangés là, elle chercha un ouvrage intéressant. Le doigt fin de la rousse s’arrêta brusquement sur l’une des tranches, elle avait trouvé son bonheur. Les dix petits nègres d’Agatha Christy, édition reliée en cuir, s’il vous plait ! Elle aimait beaucoup l’auteur et les intrigues qu’elle menait toujours à la perfection. Les dix petits nègres était néanmoins son préféré, peut-être parce que le nom de l’assassin n’était révélé qu’a la dernière ligne du livre…

La rousse prit le livre et s’installa dans l’un des confortables fauteuils du salon. Avant de se plonger dans sa lecture, elle observa sans gêne la petite bonne qui s’activait devant les fenêtres. Elle allait détourner le regard vers son livre, mais elle remarqua le sourire joyeux de la brune dans le reflet de la vitre. Gilly fronça les sourcils un instant mais reprit une expression neutre. Elle prit soin d’ouvrir son livre et de faire mine de s’être plongé dans sa lecture avant de parler.

-Qu’est-ce qui vous met d’aussi joyeuse humeur Miss Darcy ? J’aimerai assez le savoir…

La perspective du nettoyage qui l’attendait ? Peut-être finalement… A moins que cette petite peste ne se moque ouvertement d’elle !
Le regard baissé sur son livre, elle entreprit sa lecture, comme si elle n’avait posé aucune question, l’air totalement absorbée. Elle se refusait à donner de l’importance à la jeune femme…

[Pas terrible, mais bon… xD]

[Désolée pour le retard !!]

Myrna souriait toujours à son reflet, amusée par les pensées qui lui tournicotaient dans la tête. C’était cela le côté positif de son activité de ménage en fin de conte : elle pouvait réfléchir à un tas de choses sans vraiment faire attention à ce qu’elle faisait, puisque c’était machinal. Aucune concentration n’était nécessaire pour laver des carreaux ! Néanmoins, il fallait bien l’avouer, le ménage n’apportait pas non plus une grande satisfaction. Qui aurait pu prétendre rentrer chez soi en étant fière d’avoir passé une journée entière à astiquer une maison ? Quelles connaissances aurait-on pu recueillir après un tel emploi du temps ?

Telle fut la tournure que prirent les pensées de la jeune irlandaise. Une idée joyeuse qui se métamorphosait en triste constatation. Myrna aurait volontiers fait une horrible grimace à son reflet dans la fenêtre, et s’apprêtait même à le faire lorsque la voix de Gillian se fit à nouveau entendre. Encore ?! N’était-elle pas repartie se coucher ?
Il semblait bien que non, et en plus, le sourire d’avant avait été perçu. Non d’un chien ! Elle percevait les détails à ce point ?! Myrna aurait volontiers prononcé ces dernières considérations tout haut mais elle se retint, à la dernière minute.

Rester calme.

- Je souris car je pense qu’en ce moment, il ne pleut pas en Irlande. Dublin doit être au sec à cette heure-ci…

Pathétique, vraiment pathétique. Myrna s’insultait mentalement. Allons, Gillian la détestait pour une raison qu’elle ignorait et elle détestait Gillian parce qu’elle était détestée pour une raison qu’elle ignorait… Bref, mieux valait se montrer prudente et tourner la langue sept fois dans sa bouche avant de sortir quelque parole.

L’Irlande. Dublin. Franchement, Gillian devait se ficher éperdument du temps qu’il y faisait, non ? Et trouver encore plus stupide que sa bonne s’y intéresse. Mais la bonne en question était irlandaise et dublinoise par-dessus le marché, et ne s’en moquait pas du tout. Peut-être pleuvait-il ici, en Ecosse lorsqu’il y avait du soleil, là bas, à Dublin ?
Lorsque l’on faisait les carreaux, on pouvait bien se permettre de s’y intéresser. Myrna était de cet avis, Gillian, ça restait à voir…

» Calme matinal chez les Campbell