Prise de Rendez-Vous avec Mrs Stuart... [Admin]

Les clients à la librairie s'étaient enchaînés, chose assez exceptionnelle pour un jeudi venteux et gris dont le ciel ne ferait pas la grâce de s'éclaircir un peu. Dès que le petit panneau de bois marquant Open et Close avait été retourné, laissant voir un Open peint en noir en belles lettres calligraphiées - un des innombrables passe-temps de Caitlin, toujours en proie à une phobie singulière de l'ennui -, une voisine de Carnoch étant entrée, puis une autre ; ensuite, ce fut le tour à tout une troupe de touristes français d'assaillir la boutique. Autant dire que la jeune femme fut indiciblement ravie de pouvoir dérouiller un peu son français malgré les conversations interminables qu'elle avait avec les amis qu'elle s'était fait en France.

Puis les minutes, les heures même, avaient passé.

Et tout en remplissant l'ennuyeuse paperasse qui mettrait complètement en règle l'embauche de sa nouvelle collègue, qui n'était autre que sa belle-soeur, elle songea avec stupéfaction qu'il n'était pas loin de onze heures du matin, et qu'elle n'avait toujours pas pris rendez-vous avec Catherine Stuart. Après s'être tapée le front en maugréant, cette étourdie de Caitlin saisit le vieux téléphone de la librairie - une antiquité des années 70, d'un rouge rutilent qui lui donnait envie de le caresser pendant des heures... -, et composa rapidement le numéro de la directrice. Et dire que Gillian attendait depuis ce matin son coup de fil !

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Arlena Topkins était en train de quitter son poste lorsque le téléphone de son bureau sonna. Pestant contre sa malchance, elle décida tout de même de dévier directement l'appel à la directrice. Elle devait à tout prix partir immédiatement, même si elle devait pour cela subir le mécontentement de Catherine Stuart. Elle entendit celle-ci rouspéter quand le téléphone se mit à sonner dans son propre bureau, et décida d'apérer une retraite stratégique immédiate... ^^

Catherine Stuart décrocha le téléphone avec mauvaise humeur. La matinée n'avait pas été de tout repos, les jeunes de tous âges s'étaient succédés pour des problèmes de discipline et Catherine avait du leur remonter les bretelles!
Elle n'appréciait pas vraiment cette corvée, mais cela faisait parti de ses attributions de chef d'établissement...

Elle décrocha donc le téléphone et s'enquit d'une voix où perçait légèrement sa contrariété.

"Catherine Stuart, j'écoute..."

[Merkiii

]

Caitlin ressentait cette étrange angoisse des "biiip" sonores du téléphone lorsqu'elle était en communication. C'était à la fois le son aigu, l'attente une fois le numéro composé, le bruit du combiné quand l'interlocuteur décroche, puis le "Allo ?" qui suivait invariablement un appel. Etrange... mais c'était typiquement la jeune femme, ces phobies insolites. Celle-ci remontait à un certain coup de fil de la police parisienne, une dizaine d'années auparavant... Ne pas penser à cela !

Enfin, elle soignait sa répulsion pour les téléphones, avec le magnifique appareil étincelant qui trônait royalement sur son rustique comptoir de chêne, et que n'aurait pas renié un professeur d'université, avec sa simplicité élégante et ses innombrables tiroirs, où Caitlin fourrait tout son fourbi. Et puis, appeler les fournisseurs et ses connaissances était un bon entraînement. Ainsi, elle était parvenue à combattre toute timidité et crainte ; en atteste son ton détaché mais courtois, et sa voix mélodieuse et gracieuse, contrastant avec le soupçon d'agacement que trahissait la voix de la directrice du campus.

" - Bien le bonjour, ici Caitlin Macdonald à l'appareil.
Je souhaiterais, dans la mesure du possible, vous rencontrer dans le cadre du campus ; du lycée, plus précisément... "

On aurait dit une hôtesse de l'air :

" Nous informons les passagers du vol 258741, que l'avion à destination de blabla, blablabla..."

Mais la voilà, sa vocation secrète ! Ah, si elle avait su, elle qui avait toujours voulu crapahuter dans le monde entier ! Elle l'aurait survolé autant de fois qu'elle en aurait eu l'envie. Hormis sa taille inférieure à celle requise, elle aurait bien pu y réfléchir sérieusement... Enfin, la vie de Caitlin n'était pas si déplaisante, tout bien considérée : elle avait des goûts simples, et elle aimait la tranquilité - bien qu'il n'est pas dit qu'elle en profite bien longtemps... Mais pour le moment, que demander de plus ?

Et puis, rencontrer n'était pas vraiment la formule approprier ; La jeune femme avait côtoyé cette ancienne professeur de littérature pendant deux ans ! Mais Catherine Stuart se souvenait-elle de Caitlin, malgré une certaine réputation au lycée et son intérêt non dissimulée pour sa matière ?

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[Pas de quoi Razz

]

La voix mélodieuse et gracieuse qui s'éleva du combiné parut familière à la directrice et elle faillit se taper le front du plat de la main quand son interlocutrice se présenta. Mais bien sûr! La jeune Macdonald! Elle se demandait souvent si ses années d'enseignements en tant que prof de littérature avaient eu un impact sur certains élèves et se rendait compte avec dépit que la plupart de ses anciens élèves ne savaient même plus qui était Daniel Defoe, et ne semblaient jamais avoir entendu parlé de George MacDonald...
Mais dans ces moments là, il lui suffisait de songer à Caitlin Macdonald et à sa librairie spécialisée en littérature française pour que son moral soit à nouveau au beau fixe. Elle avait au moins - du moins c'est ce qu'elle se disait - sucité une vocation et éveillé une passion chez l'une de ses élèves...

Caitlin l'appelait pour un rendez-vous... Tiens, curieux... Elle n'avait jamais eu vent de problèmes concernant son fils adoptif, Samuel, alors pour quelle raison voulait-elle la voir? Elle lui répondit donc d'un ton un peu plus courtois, sa mauvaise humeur tout à coup envolée... ^^

"Bonjour Caitlin. Je serais ravie de vous accorder un entretien, mais pouvez-vous m'expliquer brièvement de quoi il s'agit? Il ne me semble pas que votre fils ait un problème quelconque en cours..."

Curieuse, Catherine attendit la réponse avec impatience...

Caitlin constata avec un certain étonnement que Catherine Stuart avait conservé sa voix toute professionnelle d'enseignante : un peu grave, et d'où on décelait une certaine autorité, et de la fermeté. Seigneur ! Plus elle l'entendait, plus la jeune femme avait l'impression de remonter les années - et plutôt, les décennies ! mon Dieu, qu'elle se faisait vieille, ça en devenait une vraie hantise, ce temps qui passe si vite -, à l'époque où elle usait ses fonds de jeans sur les chaises si inconfortables du lycée, avachie ou très droite - lorsqu'il s'agissait des cours qui lui plaisaient, comme la littérature et le français. Cette voix qu'elle qualifiait de divine, et qui l'emportait si loin, si loin, que ce soit par-delà les frontières, ou les siècles.

Bref, la cadette des Macdonald se surprit à ouvrir la bouche avec un air stupidement ébahi par cette voix qui avait curieusement su garder sa jeunesse. Mais après tout, Mrs Stuart n'était pas si vieille ! Mais comme cette dernière attendait une réponse, Caitlin s'empressa de s'expliquer.

" Oh non, il ne s'agit aucunement de Samuel ! Il est vrai qu'il avait eu quelques problèmes il y a cinq ans, à l'école primaire... il faut dire que l'adoption n'avait bien évidemment pas été un changement très facile à vivre, et vous savez comme les enfants peuvent être méchants entre eux. "

Caitlin eut un petit soupir contrit, et songea un instant à l’appel catastrophé de Mrs Hopkins qui l’alertait des petits déboires de son fils… Oh, ce n’avait pourtant pas été un drame ; devant le mutisme obstiné de Samuel, à qui l’on demandait avec insistance pourquoi il n’avait pas de « papa », certains de ses camarades s’étaient mis à le harceler par leurs moqueries naïves d’enfants, ce qui avait conduit le pauvre persécuté à agir en conséquence. Bilan : une bagarre d’où il fut vainqueur – à sa plus grande fierté, et d’ailleurs à celle de Caitlin aussi, qui tentât tant bien que mal de rassurer Mrs Hopkins du caractère inoffensif de Samuel ; du moins, si l’on ne le poussait pas à bout, ce qui était bien normal.

Mais ce n’était pas là le sujet de leur conversation, et la jeune femme se hâta d’en venir au fait, tout en essayant d’annoncer succinctement sa proposition : ce qui n’était pas gagné, puisque une fois lancée, généralement miss Macdonald ne s’arrêtait plus.

« En fait, vous devez très certainement savoir que je possède une librairie spécialisée dans la littérature française, et j’ai appris quant à moi que le lycée disposait à présent d’une option littérature française également. J’ai alors songé que nous pourrions établir des liens commerciaux entre le lycée, et Deirdre’s Library. Je pourrais, par exemple, m’approvisionner en livres et les proposer avec un certain rabais… »

La jeune femme s’arrêta de parler un instant, et laissa quelques secondes à Mrs Stuart pour « digérer » sa proposition, et y réfléchir. Et même si l’aperçu de ce marché était avantageux des deux côtés, Caitlin ne pouvait s’empêcher que tout n’était pas gagné. Enfin, elle demanda, un brin incertaine :

« Qu’en dites-vous, Mrs Stuart ? »

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[Désolée pour l'attente... ^^]

Catherine s'adossa dans son grand fauteuil de façon à être toute à son aise pour écouter ce que Caitlin avait à lui dire. Elle hochait de temps en temps la tête, acquiescant silencieusement aux remarques de la jeune femme.

"C'est vrai qu'ils ne perçoivent pas toujours la portée de leurs paroles... Je suis heureuse de constater que votre fils a tout de même su se faire respecter et est à présent totalement intégrer."

Elle conclu ainsi l'épisode Samuel de leur conversation et n'eut pas à patienter bien longtemps jusqu'à savoir de quoi il retournait exactement. Sa librairie? Bien sûr qu'elle connaissait! Ne se rappelait-elle pas qu'elle faisait partie de ses clientes? Certes, son emploi du temps ne lui permettait plus trop d'y passer depuis un certain temps mais tout de même! ^^
La directrice se frotta le menton tout en réfléchissant à la proposition et un sourire naquit sur ses lèvres pleines.

"C'est une idée, intéressante... Mais vous avez raison, il serait plus pratique d'en parler de vive voix. Avez-vous une date qui vous arrange?"

Catherine ouvrit elle-même son grand agenda, posa ses élégantes lunettes sur le nez et attrappa prestamment un stylo. Elle feuilleta le carnet, cherchant une semaine avec des creux.

"Par contre, je ne pourrais pas avant la semaine prochaine..."

Entre les entretients avec les parents, les réunions du conseils d'administration et des professeurs, ainsi que les recrutements tardifs, c'était à peine si elle n'avait pas programmé ses pauses pipi...

{Pas grave du tout Wink

}

Aussitôt Cailin avait-elle insinué que Madame Stuart ne connût pas sa librairie, qu'elle se tapa le front de la main, faisant apparaître une rougeur ovale sur la peau lisse et claire. Bien évidemment, que Catherine la connaissait ! N'était-elle pas venue à Deirdre's Library - il y a trois mois, certes, mais tout de même ! -, afin d'y acheter tout une magnifique collection de livres à la couverture en cuir dorée à l'or fin. Quel en était l'auteur, déjà ?...

Pendant que Mrs Stuart cherchait une date propice dans son agenda, dont Caitlin attendait bruisser les feuilles, la jeune femme se creusait la tête afin de retrouver le mystérieux écrivain qui avait suscité l'envie de son ancienne professeur de littérature française. Caitlin, en plus de ses nombreuses obsessions, ne parvenait pas à s'intéresser à autre chose qu'à celle oubliée par ses très fréquents trous de mémoire, et qui duraient parfois des dizaines de minutes.

Enfin, par un miracle soudain, elle ne put s'empêcher de s'exclamer un triomphant " Musset ! ", très vite et savamment étouffé par une toux assez convainquante. Mais oui, elle s'en souvenait, à présent : ses oeuvres complètes, regroupant de la poésie, des pièces de théâtre et des écrits de tous genres de ce bon vieux Alfred, qui avait bien fait rire Caitlin avec son théâtre, ses " proverbes ".

"Par contre, je ne pourrais pas avant la semaine prochaine..."

Caitlin, de sa voix normale, claire et chantante, acquiesça avec entrain, désireuse comme elle l'était de faire oublier son exclamation puérile, si son interlocutrice l'avait malencontreusement entendue.

" La semaine prochaine ? Parfait ! Ma semaine s'annonce elle aussi chargée, et je n'aurais pas pu non plus. Mmmh... "

Les mains manucurées de Caitlin se mirent à pianoter sur le comptoir, signe de sa nervosité, ou bien qu'elle réfléchissait. A cet instant, la libraire songeait plutôt à sa livraison hebdomadaire du lundi, du mercredi dédié à Samuel, et de son vendredi entièrement consacré à sa vieille amie Cornelia.

" Auriez-vous un instant de libre, le mardi ? Ou bien encore le jeudi, mais uniquement la matinée... Ce ne serait l'histoire que d'une demi-heure tout au plus... Et j'amènerai ma belle-soeur, Gillian Macdonald, que vous devez sans doute connaître, puisque ses enfants sont encore scolarisés, puisqu'elle est depuis peu ma collaboratrice. Et puis, son expérience de mère de famille pourrait très certainement nous aider. "

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Catherine tourna une nouvelle page pour faire apparaître son emploi du temps de la semaine suivante. Mardi proposait-elle... Du bout du doigt elle passa en revu la colonne du mardi qui ne laissait apparaître qu'un minuscule petit trou à l'heure du déjeuner. Elle soupira doucement, anticipant la longue journée qui l'attendait encore, puis passa à la colonne du jeudi. Une chance pour la jeune Macdonald, le jeudi était la journée la plus calme de sa semaine.

"Ce ne sera pas possible le mardi, j'ai tout juste le temps d'avaler quelque chose à l'heure du déjeuner, par contre, je peux vous caser un rendez-vous le jeudi matin. A 10h, cela vous conviendrait-il?"

Il lui suffirait de déplacer son entretien avec Stephen Eliott à l'après-midi, ça n'était pas le plus urgent.
Caitlin précisa qu'elle serait accompagnée de sa belle soeur Gillian. Catherine la connaissait pour l'avoir eu en cours également, mais surtout pour l'avoir convoquer plusieur fois en raison des frasques de son fils. La pauvre femme semblait dépassée par les agissement de ce dernier, et ne comprenait visiblement pas pourquoi il était devenu comme cela...

"Je serais ravie de revoir Gillian dans d'autres circonstances que lors d'une convocation disciplinaire..."

Caitlin, ravie qu’elles aient finalement pu s’accorder, laissa échapper une petite exclamation joviale :

« - Eh bien c’est parfait, absolument parfait ! J’y serai donc, et je me ferai violence pour être à l’heure afin de ne pas déranger tout votre emploi du temps, que je devine fort rempli… »

Il était clair que la ponctualité n’était vraiment pas le fort de la jeune femme, et ne l’avait jamais été. En cela, elle avait été enchantée lors de ses années d’études en France, car elle avait pu remarqué avec amusement que les Français différaient bien des Anglais, qui arrivaient toujours à leurs rendez-vous à la minute près. Enfin, Mrs Stuart devait parfaitement de se souvenir de la jeune fille rousse, à moitié coiffée et habillée qui arrivait presque tous les jours en retard en cours, ce qui agaçait énormément le reste de ses professeurs. Il faut dire qu’elle avait quand même battu le recordman du retard, et avait très souvent écopé d’innombrables heures de colle, dont elle gardait étonnamment de très bons souvenirs…

Puis, lorsque l’aimable directrice fit allusion à son neveu Liam, l’expression de Caitlin se renfrogna, et elle poussa un petit soupir équivoque quant à son avis sur LA question Liam Macdonald, avouant mieux que si elle n’avait parlé son inexplicable froideur et réticence envers lui. Consciente qu’elle venait sans doute de manifester son opinion négative sur le fils de Gillian, et avec le sentiment confus et honteux d’avoir commis quelque chose de mal, l’impression stupide d’avoir vilipendé son neveu. Un vieux réflexe inculqué sans nul doute par son père adoré, comme une sorte d’auto-protection familiale, qui fait toujours front contre les obstacles ou les mauvaises pensées, la fit se reprendre très vite sur un ton légèrement faux, avant de prendre congé un peu trop précipitamment :

« - Ah, certes, certes… C’est vrai que Liam n’est pas toujours facile, mais c’est au fond un si gentil garçon… Bon, eh bien, puisque ce léger détail est maintenant fixé, je vais vous laisser à vos occupations, tout en vous souhaitant bonne chance, et à très bientôt ! Bonne journée, Mrs Stuart ! »

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